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L’école du dehors en période de pandémie

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Cette école parisienne a eu un projet fou: faire classe au contact de la nature chaque semaine. Isabelle, qui suit également la formation à distance Passeur de Nature, y est enseignante. Elle nous raconte la naissance du projet, son déroulement, mais aussi comment le contexte sanitaire sur fond de coronavirus a exacerbé ce besoin de contact avec la nature…

Faire l’école hors les murs

Tout à commencé à la fin de l’année scolaire 2018-2019. Au cours du second semestre, les manifestations des jeunes contre le réchauffement climatique nous avaient interpellées. Nous avions même fermé l’école une journée, nous mettant en grève pour les accompagner dans la rue. Notre petite école maternelle du 20e arrondissement à Paris est depuis longtemps engagée dans une approche « écologique », même si ce terme est peu utilisé dans les programmes que nous devons suivre. 

Nous avons un petit jardin, un compost, enseignons le tri sélectif, nous partons en classe de nature dans une ferme pédagogique dans le Doubs, sommes sensibles à la question du vivant et de la biodiversité. 

Mais cela n’est pas suffisant. Nos élèves urbains n’ont pas toutes et tous la chance d’avoir une approche sensible et concrète de l’environnement « naturel », les classes de nature permettent d’aller prendre l’air et d’approcher de très près les animaux d’élevage mais elles ne durent qu’une semaine et semblent presque entériner cette coupure entre la ville, dans laquelle on vit, et la campagne, ce lointain. 

Comment vivre dans un quotidien urbain un rapport autre à l’environnement ? Comment intégrer le dehors à la pédagogie ? Comment offrir des situations enrichissantes qui passent par tout le corps, par les sens ? 

Nous en étions là de nos réflexions en juin, à ce moment où se construisent les projets pour l’année suivante. Et puis au cours de l’été, le désir du dehors s’est affiné grâce à des lectures, des films, des images, des pistes. L’une de nous est revenue avec cette idée en tête : faire l’école dehors au moins une matinée par semaine. Et les autres ont suivi, investissant cette idée folle chacune à leur manière. 

Les enseignantes des deux GS ont donc buché sur le projet : où aller quand l’école se trouve dans l’est parisien ? Comment trouver un dehors fréquentable et accessible à pied quand on est dans une grande ville ? Nous nous sommes décidées pour trois types d’espaces : les plus petits continueraient d’aller dans le jardin de l’école mais avec plus de régularité et par tout les temps. Ils investiraient le lieu non seulement pour jardiner mais aussi, de manière plus libre, pour découvrir à leur rythme les souches d’arbre conservées, la terre, les petites bêtes. Nous avons aussi conservé les rondins des arbres coupés dans la cour gardant en tête le rêve de pouvoir un jour tout débitumer, végétaliser, donner à la cour un petit air de terrain d’aventure. Pour les GS, il s’agissait de faire le grand saut. Nous avons opté pour une matinée par semaine sur la Petite ceinture, récemment rouverte au public, qui a le grand mérite d’offrir une végétation hybride : jardin partagé – pas très utilisé –, plantes de friche urbaine, cailloux à la pelle autour de la voie de chemin de fer, talus sur les bas-côtés. Un espace moins lissé et sécurisé que les parcs et jardins aux pelouses bien tondues et qui offre des situations d’apprentissage plus riches ainsi qu’un petit air de liberté. Par ailleurs, une journée par période, nous partons dans le bois de Vincennes, toujours au même endroit. Il est accessible à pied pour des petites jambes (même si nous mettons presque une heure pour y aller, métro et marche comprises) et propose une petite rivière aménagée et l’impression de pouvoir vivre mille aventures loin de Ménilmontant.

Se mettre en mouvement

Une fois les endroits trouvés, il a fallu convaincre les parents que leurs enfants allaient sortir une fois par semaine par tous les temps et se salir les genoux à grimper sur les talus. Tous les parents n’ont pas le même rapport à leur environnement, certains enfants sortent peu, même dans les jardins publics du quartier, tous n’ont pas forcément accueilli ce projet avec enthousiasme mais tout le monde a joué le jeu, apporté des bottes en plastique (nous en avions aussi récupérées pour les familles les plus précaires financièrement), habillé les enfants en conséquence les jours du dehors. 

Tous ont pu voir à quel point les enfants étaient heureux de cette aventure hebdomadaire. Nous avions pensé le projet autour de deux directions : favoriser au maximum le jeu libre sur place et l’appropriation de l’espace, nous appuyant essentiellement sur la pratique de Crystèle Ferjou et celle de Sarah Wauquiez, et cela même si notre espace pouvait sembler a priori offrir moins de situations « naturelles ». L ‘enjeu était de taille pour les enfants comme pour les enseignantes. Il nous fallait abandonner en partie notre volonté de contrôle et une approche des apprentissages pas trop scolaire : 

  • apprendre à accompagner, 
  • à devenir passeuses de milieu, 
  • favoriser les questionnements, 
  • favoriser les expériences sensibles 
  • mais aussi renforcer l’imaginaire (il est tellement plus facile de s’inventer des scénarios riches dans ce type d’espace plutôt que dans une cour de récréation minérale). 

Pour certains enfants, se retrouver à jouer librement dans un milieu étranger n’était pas facile au début. Comment s’occuper ? Que faire avec des cailloux ? Une de nos élèves qui à l’évidence sort peu de chez elle s’est rassurée au début en ayant toujours à la main le livre de nomenclature sur les arbres et en cherchant à reconnaître ceux qu’elle voyait autour d’elle. Il a fallu attendre plusieurs mois pour qu’elle s’autorise autre chose qu’un rapport à la Petite ceinture médié par le livre. La semaine dernière, alors qu’une des enseignantes lui demandait « Tu aimerais qu’on t’offre un livre sur quel sujet ? », elle a répondu, après ces trois mois de confinement : «  Un livre sur les arbres. » 

L’autre direction était bien sûr d’exploiter cette matinée dehors dans les apprentissages de la classe. Au fil de l’année, nous avons travaillé sur les arbres, les cailloux, les renards, avons commencé un abécédaire de la Petite ceinture, et nous avons eu deux projets artistiques, l’un musical et l’autre plastique. Nous avons essayé d’apprendre à nos élèves à observer et comprendre ce qu’était un carnet de croquis (un travail autour des croquis de Francis Hallé et la visite de l’exposition « Nous les arbres » à la Fondation Cartier en début d’année nous y a beaucoup aidé), à reconnaître les principaux arbres, à observer des cailloux à la loupe, nous avons fabriqué des bâtons de souvenirs de la forêt, fait des installations dans le bois de Vincennes comme le land artiste Andy Goldsworthy, joué au Petit poucet avec des cailloux de la Petite ceinture que nous avions peints en doré. L’année, même largement chamboulée par les grèves et la pandémie, a été plus riche que jamais.

Dernière sortie avant confinement

Le jeudi 12 mars, nous avons appris que les écoles allaient fermer jusqu’à nouvel ordre. Alors que tout le programme de l’année était basé sur une ouverture de l’école au milieu environnant, les élèves allaient devoir rester chez eux. Alors qu’ils et elles avaient toutes et tous intégré ce rythme hebdomadaire et avaient réussi à passer l’hiver sans s’ennuyer, alors que le printemps commençait et que les arbres retrouvaient leurs feuilles, il a fallu quitter les talus et les branches des arbres pour passer de longs mois dans des appartements souvent petits. 

Le vendredi 13, nous sommes sortis sur la Petite ceinture pour la dernière fois. Nous étions accompagnés de Claire, une plasticienne et vidéaste avec qui nous avions commencé le projet de réaliser un abécédaire en vidéo, F comme feu, D comme dessin… Nous avions expliqué aux enfants que c’était la dernière sortie avant longtemps et nous étions extrêmement troublés et angoissés par la situation complètement inédite que nous étions en train de vivre. La matinée n’en a été que plus intense : il faisait très beau et c’était la première fois que nous sentions véritablement le printemps arrivé, les enfants grimpaient aux arbres, expliquaient à Claire leurs jeux habituels : faire semblant de faire du feu, préparer des soupes et potions avec la terre et des feuilles diverses, courir le long du chemin de fer, monter sur les talus presque tout en haut. 

Ils expliquaient, montraient, riaient comme celles et ceux qui connaissent bien un lieu à force d’y revenir et en sont fiers, un endroit où personne n’est en difficulté ou en échec. Ils étaient ravis aussi de ce projet vidéo auquel ils avaient longuement participé pour trouver chaque mot de l’abécédaire et des idées de situations à filmer. Nous nous sommes quittés après cette dernière sortie et sachant que nous n’allions pas pouvoir aller voir le bois de Vincennes bourgeonner.

L’école du dehors au service de l’école confinée

La pandémie nous a toutes et tous pris au dépourvu et rien n’était prêt pour aborder cette situation. On nous a demandé de faire l’école à distance sans ressource pertinente et utilisable facilement. Il nous a fallu bricoler tout en prenant en compte nos propres angoisses, celles des familles, des élèves. Nous voulions être le plus possible dehors, nous étions enfermés comme jamais. 

Très rapidement et avec les moyens du bord, nous avons créé un blog d’école et activé un compte twitter pour les GS. Toute l’année, nous avions essayé de mettre les enfants en situation sensible en accordant une grande importance aux tâches et aux techniques manuelles, privilégiant le faire, les mains, les matériaux naturels, considérant que les enfants étaient déjà trop souvent devant des écrans et qu’il était du devoir de l’école d’apporter une éducation intégrale (intellectuelle et manuelle). Il ne nous restait plus comme outil et moyen de communication que les écrans, internet, les visioconférences… 

Comment proposer aux familles de mettre les enfants en situation d’apprentissage sans qu’ils soient toujours sur les écrans ni assis avec du travail sur papier ? C’était clairement difficile voire impossible et la « continuité pédagogique » a été une expérience compliquée et douloureuse qui nécessitera de longues analyses pour en comprendre les effets et voir comment elle a renforcé les inégalités, etc. Mais nous avons pu réutiliser les acquis de l’école du dehors pour une partie des élèves. Nous avons pu continuer l’observation des oiseaux, apprendre à reconnaître leur chant, continuer à regarder les arbres qu’on voyait par les fenêtres, continuer à faire du land art mi-végétal/mi-objet. Nous avons travaillé sur les papillons, les arbres, en envoyant de nombreuses ressources aux familles, nous avons parlé des renardeaux nés au cimetière du Père Lachaise tout proche, nous avons fait de nombreuses expériences. Surtout, nous nous sommes lancés dans des plantations en tout genre : avocats, graines, multiplication végétative. Bien sûr, nous avons surtout convoqué un imaginaire du dehors plus qu’une réalité concrète et rares étaient les élèves qui ont pu au cours de cette période vivre à l’extérieur, mais cet imaginaire était ancré dans une expérience corporelle vécue par toutes et tous avant le confinement.

Et pour demain, quelle école voulons-nous ?

Ces conditions difficiles et très contraignantes ont pesé dans notre réflexion sur la classe à l’extérieur et n’ont fait qu’exacerber notre désir de faire l’école autrement et dehors. La période de pandémie a vu fleurir les tribunes sur le sujet la mobilisation des acteurs et actrices de l’éducation à l’environnement qui, depuis des années voire des décennies, œuvrent à la diffusion de pratiques qui semblent de plus en plus vitales.

Les écoles du dehors, les écoles de plein air, les diverses forest schools, le jardinage scolaire, la végétalisation des cours, les junk playgrounds et terrains d’aventures ne sont pas neufs, certains ont même déjà une longue histoire pas assez connue et transmise aux enseignant·es et aux éducateurs·trices. Toute cette histoire souterraine et buissonnière nous invite à sortir des classes et des cours bitumées. 

L’expérience de la pandémie comme les transformations à l’œuvre en raison du réchauffement climatique appellent des mutations d’ampleur. 

À notre petite échelle, toujours, nous allons poursuivre sur ce chemin : continuer les sorties hebdomadaires, continuer à nous former, espérer rencontrer d’autres acteurs et actrices engagées dans cette mutation, tenter de recréer et réparer les liens entre nos élèves et la ville dans son ensemble, en puisant dans les ressources offertes par l’éducation à l’environnement comme dans celles proposées par des urbanistes/architectes sensibles à une ville « récréative » et ouverte au respect de la biodiversité. Il nous semble aussi important de permettre de développer ces pratiques dans les quartiers populaires pour ne pas entériner une coupure en terme d’expérience avec le vivant entre des classes privilégiées qui ont un accès facilité à un milieu plus naturel et des classes populaires éloignées de cet accès. 

Nous rêvons d’une école du dehors pour toutes et tous et d’une éducation populaire revivifiée capable d’offrir des expériences enrichissantes et profondes avec le monde vivant.

Isabelle, Professeure des écoles


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