Nous partageons avec vous le joyeux témoignage de Géraldine W., éducatrice de jeunes enfants au Jardin d’enfants de Colmar depuis 8 ans, où elle encadre un groupe de 20 enfants, qui ont entre 3 et 6 ans.
D’ailleurs, connaissez-vous cette structure dite « jardin d’enfants » ?
Il s’agit d’un mode d’accueil pour jeunes enfants de 2 à 6 ans, à mi-chemin dans son fonctionnement entre la crèche collective et l’école maternelle.
C’est une forme qui est assez fréquente en Alsace, inspirée du modèle allemand.
Le jardin d’enfants dans lequel Géraldine travaille, situé à Colmar, accueille 80 enfants âgés de 3 à 6 ans. Structure associative, le jardin d’enfants est lié à une école qui accueille les enfants de 7 à 18 ans (école indépendante hors contrat). Les enfants vivent et grandissent avec la pédagogie Steiner Waldorf au jardin d’enfants et à l’école.
« Au Jardin d’enfants nous ne faisons pas d’apprentissage scolaire à proprement parlé mais nous proposons aux enfants des temps de jeu libre, de rondes, d’histoires ainsi que des activités essentiellement artistiques et manuelles avec des matériaux naturels et des activités en lien avec la nature. Nous sortons tous les jours au jardin au moins 1h le matin et 1h l’après-midi, mais quand les beaux jours sont là nous passons les matinées au jardin. »
Alors, on sort ?
Il est 8h et dans la fraicheur du matin, au beau milieu des vignes nous voyons les montgolfières
colorées qui dominent le village de Wintzenheim. De bon matin, en attendant que tous les enfants soient là nous trouvons très vite quelques noix que nous prenons plaisir à casser pour prendre un « petit déjeuner d’écureuil ».
Ascension vers la chapelle des bois
Une fois que tout le monde est arrivé, bien équipé de la tête aux pieds, nous nous mettons en
chemin, direction « La chapelle des bois », tout en haut de la colline.
Nous entrons tranquillement dans la forêt qui nous offre très vite plein de belles choses à récolter.
Les mains et les petits sacs se remplissent de noix, feuilles, champignons à l’automne, ail des
ours et jolies fleurs au printemps, cailloux, bâtons de toute taille quelque soit la saison.
Le chemin monte et il nous demande un certain effort. Doucement nous nous réchauffons, les
joues commencent à rougir et les mains à se dégourdir.
Chacun aborde la marche à sa manière, les plus grands aiment marcher devant d’un pas rythmé
et décidé, en discutant, tandis que les plus petits s’arrêtent pour regarder, ramasser, rêver un peu.
Parfois des « portages de sacs » s’organisent, tous les sacs sont accrochés sur un tronc et portés par deux ou trois enfants, ou un beau tronc trouvé -qui pourrait servir pour une construction- est transporté à plusieurs. Pleins de courage, petits et grands marchent de bon coeur.
Sur notre chemin il y a bien sûr des points culminants auxquels nous avons pris l’habitude de
nous arrêter un petit peu. Il y a la liane géante, à laquelle les enfants s’accrochent pour se balancer, le toboggan de terre qui s’est formé par notre passage, quelle aventure d’y grimper puis quelle joie d’y glisser.
Les enfants ne s’arrêtent pas, ils trouvent toujours de nouveaux projets pour lesquels ils se mettent en mouvement d’eux même.
Encore un effort pour continuer notre belle ascension. Nous passons par un chemin qui nous offre de belles châtaignes que nous faisons ensuite cuire sur le feu. C’est souvent là que nous apercevons des traces d’animaux ou des cabanes de petits lutins, il paraitrait même qu’un «garou garou » habite dans les parages.
Enfin en haut de la colline, se trouve une petite clairière à la terre rouge, avec un chêne majestueux sous lequel chaque mercredi nous mangeons notre goûter pour nous redonner quelques forces.
Expérimenter et jouer en forêt
Après ce temps, nous rejoignons un petit bout de forêt que nous avons doucement investi. Là se
trouvent différents chantiers. En effet, le déracinement d’un arbre occupe les enfants depuis un
moment. Ils se retrouvent régulièrement autour de cet arbre et petit à petit évacuent la terre autour des racines dans le but de le faire tomber (ce qui est bien sûr impossible). Beaucoup de
moyens techniques sont déployés autour de cette activité avec par exemple la création de barrières de chantier, l’évacuation des pierres, etc. Il y a un peu plus haut, des cabanes que nous entretenons, restaurons, re-décorons de temps en temps, dans lesquelles nous installons des lits de feuilles, la réserve de provisions de maman écureuil et de quoi faire un feu…
Les enfants s’installent dans les petits recoins qu’ils trouvent pour jouer ou partent explorer la forêt, se créant leurs univers à travers des éléments que la nature leur offre : une branche de sapin devient balançoire, un bâton peut chasser le loup, les licornes et autres créatures se promènent autour de nous, des mandalas se dessinent de-ci de-là à l’aide de ce que nous trouvons…
Doucement, tel un fourmillement, la vie s’organise dans ce petit bout de forêt.
Puis très vite vient l’heure de redescendre la colline, nous nous rassemblons vite, laissant nos activités en attente jusqu’à la semaine prochaine. Puis c’est avec une vraie joie que les enfants se laissent entrainer par la pente. Ainsi très rapidement nous arrivons en bas et la balade se termine avec une grande course dans le grand pré à la fin du chemin. Nous rejoignons alors les parents qui sont venus nous chercher.
Une expérience vecteur de lien, place à l’imaginaire et la créativité!
Vous l’aurez compris, les enfants ne cessent de s’affairer, dans tous les sens… Ils ont à présent
leurs repères dans ces lieux et c’est l’imagination la plus créative qui les anime durant le temps de jeu. A partir de peu ils créent, se saisissent de l’espace et jouent, facilement et simplement. Ils jouent d’une manière libérée, dans leurs actes, dans leurs mouvements mais aussi libérés des règles sociales du groupe que l’on trouve habituellement au Jardin d’enfants. Les liens entre les uns et les autres se font beaucoup plus facilement, de vraies dynamiques de groupe dans lesquelles tout le monde trouve sa place peuvent se créer, les conflits sont moins présents. Les enfants se rencontrent autrement.
Dans la marche comme dans le jeu libre, s’offre à l’enfant la possibilité de faire une réelle expérience de sa copropriété, qu’il développe de manière active lors de la petite enfance. L’enfant déploie de vraies forces pour grimper dans un arbre, monter sur un sentier étroit, enjamber les troncs, marcher dans la terre battue, courir à travers pré, dévaler une pente en courant, déplacer une pierre ou un tronc, s’accrocher à une liane…
C’est aussi la possibilité de faire tant d’expériences sensorielles simples et réelles : se coucher
dans un tas de feuilles, en sentir l’odeur, la sensation d’humidité, marcher dans la mousse pieds
nus, voir les couleurs qui nous entourent …
Vivre son environnement
La répétition de ces promenades, le lieu et les rituels qui y sont associés chaque mercredi,
quelque soit la saison ou le temps, nous permettent de nous mettre réellement en lien avec la nature, ses éléments et leur évolution au fil des saisons. Les enfants vivent leur environnement, ils l’expérimentent, s’en imprègnent, ils voient, observent et par la répétition affinent leur perception.
Ils font petit à petit des déductions, des conclusions, d’eux même, à partir de leur vécu de leur
expérience de la réalité. Ces conclusions deviennent une base pour l’émergence des concepts de manière vivante et leur permettent de comprendre le monde et de s’y lier.
Une petite fille, après de longs mois d’hiver où la forêt dormait tranquillement aperçoit une petite
fleur et des jeunes pousses sur les arbres, elle me dit d’un ton enjoué en me les montrant : « Le
Vert revient, c’est le Printemps ! ».
Ainsi ces balades se sont mises en place il y a maintenant 5 ans, avec le soutien et la participation active des parents et ont lieu chaque mercredi.
Ils sont invités à y participer, à nous accompagner. Ils peuvent ainsi percevoir ce que l’enfant vit au Jardin d’enfants. Il sont souvent sollicités pour nous aider à construire des cabanes ou à explorer la forêt. C’est là un beau moyen de créer autant que possible un lien entre et avec les parents.
Récemment, traversant la cours de l’école, des jeunes filles de 10 ans qui étaient auparavant au jardin d’enfants m’ont demandé si je partais toujours en promenade avec les enfants. Et voilà qu’elles se sont mises à me raconter les souvenirs qu’elle avaient de ces promenades, parlant du lieu, de leurs jeux, de leurs perceptions, racontant cela avec un vraie joie… J’ai été ravie de voir à quel point cet acte, si simple et rudimentaire, a pu laisser en elles de si belles images et de si beaux sourires sur leurs visages, au delà de cela une empreinte.
Les promenades ont pris une réelle place dans notre quotidien au jardin d’enfants. Elles nous
offrent une respiration dans la semaine, pour les enfants comme pour les adultes. Nous vivons à travers ces temps de promenade de vrais moments de joie, de partage, de vie.
Les aspects pratiques
La participation des parents :
Dès le mois de septembre, lors de la première réunion de parents de l’année, je soumets le projet aux parents et regarde avec eux s’ils sont partants pour se lancer dans l’aventure. Je leur demande de m’accompagner aux promenades et mets un planning en place sur lequel ils peuvent s’inscrire, ainsi je suis sûre qu’il y aura toujours au moins deux autres adultes avec moi, ce qui est très précieux car mon groupe est composé d’enfants de 3 à 6 ans et les plus petits ont besoin d’un peu plus d’attention.
Le jardin d’enfants n’étant pas à proximité directe de la forêt, je donne rendez vous sur le lieu de
promenade directement le matin à partir de 8h et pour le retour, rendez-vous à 12h. Beaucoup de parents organisent un covoiturage entre eux.
Les affaires :
Chaque enfant a son propre sac à dos qui contient une petite gourde, un bon goûter (l’extérieur
ça creuse), un sac en plastique ou cabas sur lequel il peut s’assoir si le sol est mouillé. Je demande aux parents d’équiper les enfants en fonction de la météo : bonnet, gants, écharpe ou
chapeau de soleil, botte de pluie ou de neige, pantalon de pluie. J’ai toujours un stock dans ma
voiture pour prêter à ceux qui viennent sans habits adaptés.
Pour ma part j’emmène toujours une grande bouteille ou tisane avec des verres, des fruits secs
s’ils n’ont pas assez mangé, des habits de rechange en cas d’accidents, une trousse de secours,
de la ficelle, une scie, un sécateur, un petit couteau, une boite d’allumette et un peu de papier
journal.
Pour la marche :
Nous nous réunissons et nous disons bonjour avant d’entamer notre marche, c’est aussi le moment de rappeler des règles ou alors de les éveiller à quelque chose, puis en route! Je demande aux enfants de se donner les mains deux par deux, un adulte ouvre la marche et un autre la ferme. Quand nous entrons sur un petit sentier les enfants peuvent se lâcher la main, mais ne doivent pas dépasser l’adulte devant, ni celui derrière.
Pour ne pas que les enfants se donnent la main on peut aussi imaginer de prendre une grande
corde que chaque enfant tient d’une main, les uns derrière les autres.
Jeux en forêt :
Les enfants peuvent jouer librement et s’ils souhaitent partir un peu plus loin faire des explorations, ils doivent venir solliciter un adulte qui les accompagne un peu plus loin.
Les enfants restent le plus souvent dans le lieu que nous avons investi et ne partent jamais tout
seuls. Je demande à chaque adulte présent d’être attentif aux enfants.
Le retour :
Quand vient l’heure de partir je rassemble tous les enfants en chantant, ils récupèrent leurs affaires que nous avions tous laissées à un endroit précis puis se donnent la main et le petit train repart. Le retour -et donc la fin de matinée- peuvent être un peu délicat car les enfants sont fatigués et le chemin est en descente, alors souvent ils veulent courir mais c’est là qu’ont lieu les chutes et petits bobos. A chaque promenade j’essaye de trouver des petites astuces afin que nous puissions redescendre tranquillement.
Le tout est de se lancer, d’y aller, puis à chaque promenade on peut regarder ce qui allait ou n’allait pas et réadapter les règles, les rituels, les lieux…
Une fois qu’on a commencé, on ne peut plus s’en passer !
Bon à savoir … quel avenir pour les Jardins d’enfants ?
Concernant l’existence des jardins d’enfants, celle-ci semble compromise en raison de l’application de la loi “pour une Ecole de la confiance” du 26 juillet 2019 . Celle-ci rend obligatoire la scolarisation de tout enfant à partir de 3 ans, à compter du 1er septembre 2019, dans un établissement d’enseignement public ou privé sous contrat.
Cependant, suite au compromis de la commission mixte paritaire entre Sénat et Assemblée nationale, les jardins d’enfants disposent de cinq ans pour changer leur mode de fonctionnement (dérogation). Ce délai va permettre à ces établissements de réfléchir à leur transformation, qui pose grandement question, en lien avec leur approche (liberté pédagogique) et leur fonctionnement (personnel encadrant composé de métiers de la petite enfance comme les EJE, les AP), un sacré tournant que tous n’envisagent pas sereinement.
A propos, pour aller plus loin : et vous, avez-vous connaissance de structures similaires accueillant de jeunes enfants en forêt ?
Formation en ligne “Passeur de Nature”
Professionnels de l’enfance (Enseignants, porteurs de projet, animateurs…)
Enfants ayant de 3 à 12 ans